V ① 65
sa poussette. J'avais sorti les trois lettres de ma poche, et, commeau moment où j'allais
les glisser dans la boîte aux lettres pour les restituer et m'en aller, ma main s'immobilisa et je ressentis
ce léger frisson d'angoisse passagère que j'éprouvais toujours au moment
de devoir lâcher du courrier dans une boîte aux lettres, pendant cette seconde durant
laquelle je relisais toujours entièrement mentalement le courrier que je
venais d'écrire, me remémorant toutes les tournures de phrases que j'avais
employées et m'interrogeant sur l'orthographe de tel ou tel mot, doutant
soudain de les avoir correctement orthographié, quand ce n'était pas le
contenu même des lettres que je venais d'écrire qui devenait l'objet de ce
doute soudain, et, tandis que ma main avait encore le loisir de retenir les
lettres, tandis que quelques centimètres seulement les séparaient de la fente
de la boîte aux lettres et que toutes ces sensations diffuses se confondaient
en moi, c'est à ce moment-là que je lâchais les lettres — et ma main poursuivit
son mouvement, je lâchai les trois lettres que j'avais prises quelques jours plus tôt dans la boîte aux lettres des Biaggi*.
PuisJ'avais repris le chemin de l'hôtelquitté la maison, et je marchais dans la nuit l'obscurité sur la route qui longeait la falaise pour rentrer à l'hôtel,et je me sentais plus léger maintenantd'avoir rendu les lettres. Il n'y avait absolument personne sur la routequi longeait la falaise, et
je me trouvais encore au bord de la falaise, des rochers déserts s'étendaient
en contrebas de la falaise, sauvages et escarpés, sur lesquels des vagues venaient s'écraser,
quand, avant d'entrer dans le village, j'aperçus au loin dans la nuitun chat noir* juché sur les poubelles. Il se tenait
en équilibre sur l'arrondi d'un des barreaux de la cage grillagée, penché en
avant au-dessus d'un sac-poubelle dont il était en train de sortir précaution-
neusement un long squelette de poisson décharné. Tout occupé par sa capture,
il ne m'avait pas entendum'entendait approcher, et, comme je m'arrêtais sans bruit à
sa hauteur, il s'interrompit brusquement et releva la tête, qu'il maintint
tout à fait immobile pour me regarder aussi. Moins de cinq mètres nous sépa-
raient maintenant, et je le sentais prêt à bondir si je m'étais risqué à faire
le moindre pas de plus dans sa direction. Il attendait sans doute que je
m'en aille pour continuer, et il ne bougeait pas, il continuait de me fixer
attentivement dans la nuit de son regard absolument vert finement atomisé de jaune, et,
ce qui me troublait le plus en réalité, c'était que ce n'était pas la première
fois que je croisais ce regard. Que j'avais déjà croisé exactement ce même
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sa poussette. J'avais sorti les trois lettres de ma poche, et, comme j'allais
les glisser dans la boîte et m'en aller, ma main s'immobilisa et je ressentis
ce léger frisson d'angoisse passagère que j'éprouvais toujours au moment
de devoir lâcher du courrier dans une boîte, pendant cette seconde durant
laquelle je relisais toujours entièrement mentalement le courrier que je
venais d'écrire, me remémorant toutes les tournures de phrases que j'avais
employées et m'interrogeant sur l'orthographe de tel ou tel mot, doutant
soudain de les avoir correctement orthographié, quand ce n'était pas le
contenu même des lettres que je venais d'écrire qui devenait l'objet de ce
doute soudain, et, tandis que ma main avait encore le loisir de retenir les
lettres, tandis que quelques centimètres seulement les séparaient de la fente
de la boîte aux lettres et que toutes ces sensations diffuses se confondaient
en moi, c'est à ce moment-là que je lâchais les lettres — et ma main poursuivit
son mouvement, je lâchai les trois lettres que j'avais prises quelques jours plus tôt dans la boîte aux lettres des Biaggi*.
PuisJ'avais repris le chemin de l'hôtella nuit et je me sentais plus léger maintenantd'avoir rendu les lettres. Il n'y avait absolument personne sur la routequi longeait la falaise, et
je me trouvais encore au bord de la falaise, des rochers déserts s'étendaient
en contrebas , sauvages et escarpés, sur lesquels des vagues venaient s'écraser,
quand j'aperçus au loin un chat noir* juché sur les poubelles. Il se tenait
en équilibre sur l'arrondi d'un des barreaux de la cage grillagée, penché en
avant au-dessus d'un sac-poubelle dont il était en train de sortir précaution-
neusement un long squelette de poisson décharné. Tout occupé par sa capture,
il ne m'avait pas entenduapprocher, et, comme je m'arrêtais sans bruit à
sa hauteur, il s'interrompit brusquement et releva la tête, qu'il maintint
tout à fait immobile pour me regarder aussi. Moins de cinq mètres nous sépa-
raient maintenant, et je le sentais prêt à bondir si je m'étais risqué à faire
le moindre pas de plus dans sa direction. Il attendait sans doute que je
m'en aille pour continuer, et il ne bougeait pas, il continuait de me fixer
attentivement de son regard absolument vert finement atomisé de jaune, et,
ce qui me troublait le plus en réalité, c'était que ce n'était pas la première
fois que je croisais ce regard. Que j'avais déjà croisé exactement ce même
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sa poussette. J'avais sorti les trois lettres de ma poche, et, commeau moment où j'allais
les glisser dans la boîte aux lettres pour les restituer et m'en aller, ma main s'immobilisa et je ressentis
ce léger frisson d'angoisse passagère que j'éprouvais toujours au moment
de devoir lâcher du courrier dans une boîte aux lettres, pendant cette seconde durant
laquelle je relisais toujours entièrement mentalement le courrier que je
venais d'écrire, me remémorant toutes les tournures de phrases que j'avais
employées et m'interrogeant sur l'orthographe de tel ou tel mot, doutant
soudain de les avoir correctement orthographié, quand ce n'était pas le
contenu même des lettres que je venais d'écrire qui devenait l'objet de ce
doute soudain, et, tandis que ma main avait encore le loisir de retenir les
lettres, tandis que quelques centimètres seulement les séparaient de la fente
de la boîte aux lettres et que toutes ces sensations diffuses se confondaient
en moi, c'est à ce moment-là que je lâchais les lettres — et ma main poursuivit
son mouvement, je lâchai les trois lettres que j'avais prises quelques jours plus tôt dans la boîte aux lettres des Biaggi*.
PuisJ'avais repris le chemin de l'hôtelquitté la maison, et je marchais dans la nuit l'obscurité sur la route qui longeait la falaise pour rentrer à l'hôtel,et je me sentais plus léger maintenantd'avoir rendu les lettres. Il n'y avait absolument personne sur la routequi longeait la falaise, et
je me trouvais encore au bord de la falaise, des rochers déserts s'étendaient
en contrebas de la falaise, sauvages et escarpés, sur lesquels des vagues venaient s'écraser,
quand, avant d'entrer dans le village, j'aperçus au loin dans la nuitun chat noir* juché sur les poubelles. Il se tenait
en équilibre sur l'arrondi d'un des barreaux de la cage grillagée, penché en
avant au-dessus d'un sac-poubelle dont il était en train de sortir précaution-
neusement un long squelette de poisson décharné. Tout occupé par sa capture,
il ne m'avait pas entendum'entendait approcher, et, comme je m'arrêtais sans bruit à
sa hauteur, il s'interrompit brusquement et releva la tête, qu'il maintint
tout à fait immobile pour me regarder aussi. Moins de cinq mètres nous sépa-
raient maintenant, et je le sentais prêt à bondir si je m'étais risqué à faire
le moindre pas de plus dans sa direction. Il attendait sans doute que je
m'en aille pour continuer, et il ne bougeait pas, il continuait de me fixer
attentivement dans la nuit de son regard absolument vert finement atomisé de jaune, et,
ce qui me troublait le plus en réalité, c'était que ce n'était pas la première
fois que je croisais ce regard. Que j'avais déjà croisé exactement ce même
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sa poussette. J'avais sorti les trois lettres de ma poche, et, comme j'allais
les glisser dans la boîte et m'en aller, ma main s'immobilisa et je ressentis
ce léger frisson d'angoisse passagère que j'éprouvais toujours au moment
de devoir lâcher du courrier dans une boîte, pendant cette seconde durant
laquelle je relisais toujours entièrement mentalement le courrier que je
venais d'écrire, me remémorant toutes les tournures de phrases que j'avais
employées et m'interrogeant sur l'orthographe de tel ou tel mot, doutant
soudain de les avoir correctement orthographié, quand ce n'était pas le
contenu même des lettres que je venais d'écrire qui devenait l'objet de ce
doute soudain, et, tandis que ma main avait encore le loisir de retenir les
lettres, tandis que quelques centimètres seulement les séparaient de la fente
de la boîte aux lettres et que toutes ces sensations diffuses se confondaient
en moi, c'est à ce moment-là que je lâchais les lettres — et ma main poursuivit
son mouvement, je lâchai les trois lettres que j'avais prises quelques jours plus tôt dans la boîte aux lettres des Biaggi*.
PuisJ'avais repris le chemin de l'hôtella nuit et je me sentais plus léger maintenantd'avoir rendu les lettres. Il n'y avait absolument personne sur la routequi longeait la falaise, et
je me trouvais encore au bord de la falaise, des rochers déserts s'étendaient
en contrebas , sauvages et escarpés, sur lesquels des vagues venaient s'écraser,
quand j'aperçus au loin un chat noir* juché sur les poubelles. Il se tenait
en équilibre sur l'arrondi d'un des barreaux de la cage grillagée, penché en
avant au-dessus d'un sac-poubelle dont il était en train de sortir précaution-
neusement un long squelette de poisson décharné. Tout occupé par sa capture,
il ne m'avait pas entenduapprocher, et, comme je m'arrêtais sans bruit à
sa hauteur, il s'interrompit brusquement et releva la tête, qu'il maintint
tout à fait immobile pour me regarder aussi. Moins de cinq mètres nous sépa-
raient maintenant, et je le sentais prêt à bondir si je m'étais risqué à faire
le moindre pas de plus dans sa direction. Il attendait sans doute que je
m'en aille pour continuer, et il ne bougeait pas, il continuait de me fixer
attentivement de son regard absolument vert finement atomisé de jaune, et,
ce qui me troublait le plus en réalité, c'était que ce n'était pas la première
fois que je croisais ce regard. Que j'avais déjà croisé exactement ce même